Stéphane Blok: «Etre librettiste de la Fête? Travailler au renouvellement de la tradition!»

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Stéphane Blok: «Etre librettiste de la Fête? Travailler au renouvellement de la tradition!»

Le musicien de jazz, poète et écrivain né à Lausanne en 1971, habitué des collaborations avec les musiciens Léon Francioli et Arthur Besson, le photographe Jean-Pierre Fonjallaz ou le cinéaste Pierre-Yves Borgeaud, est avec l’écrivain Blaise Hofmann le co-librettiste de la Fête des Vignerons. Entretien.

Quels étaient vos liens avec le monde de la vigne, du vin, du travail de la terre, avant de vous lancer dans l’aventure de la Fête des Vignerons 2019?
Comme la majorité des gens de ma génération, j’ai connu la paysannerie et les métiers de la terre au travers de mes grands-parents et, dans une moindre mesure, également au travers de mes parents. Ces derniers sont venus s’établir en ville, à Lausanne, où je suis né et où j’ai grandi. Je suis un rat des villes. Mais je compte toujours parmi mes amis des agriculteurs et des vignerons. Nous avons énormément de points communs entre artistes et gens de la terre – une vie de passion et d’indépendance.

Qu’avez-vous découvert, appris, en vous plongeant dans cet univers?
J’ai toujours côtoyé cet univers, je n’ai donc rien appris de réellement nouveau, si ce ne sont peut-être des points spécifiques, techniques, sur la taille, la terre, les cépages, etc. J’ai bien entendu une meilleure connaissance aujourd’hui de l’histoire de la Fête, de ses enjeux et de son fonctionnement. Mais la réelle découverte reste les gens que l’on croise en chemin.

Etre librettiste de la Fête des Vignerons 2019, qu’est-ce que cela représente à vos yeux? Est-ce un aboutissement, un moment fort dans le parcours d’un artiste? Un vieux rêve?
Une chance: travailler au renouvellement de la tradition.

Vous êtes deux librettistes avec Blaise Hofmann. Comment travaillez-vous ensemble?
En parfaite harmonie. Nous sommes différents, nous nous complétons. Chacun écrit dans son coin, mais nous partageons tout, nous discutons de tout. Nous prenons aussi du temps ensemble dans la vie privée pour nous divertir, nous changer les idées.

Comment décririez-vous le travail collectif avec le reste de l’équipe artistique?
La manière de fonctionner de la compagnie Finzi Pasca est, si j’ose, «standard» pour une compagnie de théâtre contemporain. Nous travaillons tout d’abord collectivement – tels des scénaristes – à l’élaboration des différentes scènes du spectacle. Tous les corps de métiers sont représentés, musique, costumes, éclairages, scénographie, etc. Nous avançons frontalement, tous ensemble, puis chacun retourne dans son atelier réaliser l’ouvrage ou l’œuvre pour laquelle il est mandaté.

Pourquoi la Fête des Vignerons reste génération après génération un événement aussi populaire, attendu, observé par toute la Suisse romande?
La Fête ne se démode pas. Mieux que ça, elle suscite une passion, un engouement que je n’ai jamais vu dans aucun autre projet. Il est probable que sa fréquence – une fois par génération – soit un facteur déterminant. Par ce rythme unique, elle est préservée des ambitions personnelles. Elle se transmet de génération en génération, mais personne ne peut la posséder. Nous sommes à son service, et non l’inverse.

Que cherchez-vous à transmettre à travers les poèmes, les chants que vous composez pour la Fête?
Quel que soit l’angle de vue, la Fête traite de la relation entre l’homme et la nature, de leur rencontre, de leur passion, de leur dépendance. Il n’y a donc pas de message, mais des émotions. Nous vivons dans une époque extrêmement paradoxale, faite de conscience et d’inconscience écologique ; le sujet ne manque donc pas d’actualités…

Est-ce facile, est-ce urgent de revaloriser un certain régionalisme culturel?
Ce que les gens commencent gentiment à comprendre dans le domaine des produits alimentaires, les patates, les fruits et les légumes, soit l’avantage de consommer local et de qualité, ils ne l’appréhendent encore pas du tout en ce qui concerne la culture, leur culture: la Fête est un cas unique et donc non représentatif de ce qui se passe le reste du temps. Plus que jamais le public consomme des séries et de la musique venues de loin, anglo-saxonnes, américaines surtout. L’industrialisation de la culture a créé une perte de diversité, comme dans la nature. Et le mouvement se poursuit.

Quels souvenirs personnels avez-vous des Fêtes précédentes?
En 1999, nous sommes venus avec ma belle-famille, parce que mon beau-père guidait une vache durant le spectacle en remplacement de son frère ainé, agriculteur à Porsel. J’en retiens beaucoup de plaisir et de rires. La Fête précédente, en 1977, je suis resté chez mes grands-parents, mes parents m’estimant trop petit pour les accompagner au vu de la durée du spectacle. Mais je me souviens de l’importance de l’événement que nous avions ensuite regardé à la télévision.

Quels sont les liens actuels des Vaudois, des Romands, des Suisses, à votre sens avec le monde de vignerons-tâcherons, avec le monde de la terre, avec le terroir?
Le monde des tâcherons est un monde à part, méconnu, un terroir à part, fait de nationalités diverses, d’hommes, de femmes, où parfois l’activité est pratiquée comme un second métier, après une reconversion professionnelle. Ceci vient du fait que, par définition, le tâcheron ne possède pas la terre, il l’exploite uniquement. C’est donc un savoir qui se transmet sans passer par la case «héritage» ou «patrimoine familial».

Pensez-vous que nous revenons tous et toutes à la terre, à la nature?
Non, je ne crois pas que nous revenions à la terre. Au contraire. L’homme moderne s’exclut de ce qu’il qualifie d’ailleurs de «notre environnement». Il ne se pense pas dans un tout, un grand tout, il ne fait pas le lien entre l’infiniment grand, l’infiniment petit, et lui au milieu. Ses priorités sont ailleurs, son attention retenue par autre chose. D’autre part, il n’y a pas de nostalgie à avoir quant à la vie campagnarde. Personne n’est prêt à revivre comme au 19ème siècle. Les anciens avec qui j’ai eu la chance de converser pleuraient parfois en évoquant le temps passé, leur enfance, leur jeunesse, tant la vie avait été dure. Personnellement, je pense que nous pourrions tout simplement mieux écouter la nature, sans systématiquement chercher à la modifier. «Écouter» est le début du respect.

Boire un verre de vin: quand? Avec qui?
J’aime le vin, il est bon à toute heure du jour et de la nuit, seul ou en compagnie. Le bon vin, c’est bon. Dans la réalité, je ne bois pas durant la journée, ni ne fume. Je mange peu, des fruits, du riz, des aliments simples. Mon téléphone est sur silencieux et je n’ai pas d’Internet à l’atelier. Je vis donc un peu comme un ascète, à pratiquer l’instrument, écrire, chanter. J’aime cet «état» autant que l’heure de l’apéro qui arrive en fin de journée, avec la famille, les amis, le repas du soir, tous ensemble. Et bien sûr, le verre de blanc, puis celui de rouge.

Vous avez sorti un disque ce printemps, « Chansons des routes et des rivières », comment le décririez-vous?
Cet album est le dernier d’une trilogie entamée il y a six ans avec Chants d’entre les immeubles, puis Complaintes de la pluie qui passe en 2016. C’est une œuvre importante à mes yeux. J’ai pu y intégrer des thématiques qui me tiennent à cœur, la ville, la nature, la migration, et une manière de faire que je voulais expérimenter et qui ne soit pas basée sur les schémas habituels de développements économiques, où toute réalisation est considérée comme un «produit». Les résultats ont été au-delà de nos attentes. Ces albums vivent magnifiquement, sans pub, sans les réseaux sociaux, sans intermédiaires commerciaux, labels, producteurs, etc.

Vous avez aussi publié un nouveau livre, « Les Fables de la joie », qu’est-ce que ce nouveau livre?
J’ai la chance d’avoir un éditeur, Bernard Campiche, qui me fait confiance et qui publie mes écrits depuis 2012. Ma façon d’écrire a évolué au fil des publications, passant de la poésie pure et dure à des récits plus narratifs. Les fables de la joie est peut-être mon premier roman. J’ai reçu beaucoup de retours et de courriers très positifs, touchés et touchants, sur ce travail, provenant d’autre auteurs également. Peut-être mes premiers pas dans le vaste monde littéraire…

Vous êtes à la fois écrivain et musicien. Quel est le fil rouge de vos diverses activités artistiques?
Avec le temps, pour moi, il n’y a plus de différences entre musiques, mélodies, poésies, écritures, mots. Ces disciplines m’apparaissent désormais unifiées dans une sorte d’arc-en-ciel, passant de l’abstraction des notes, des sons, à la précision des mots. La parole est une mélodie et un rythme, toute musique a un propos. Je ne différencie plus non plus le temps que je consacre à l’une ou l’autre de ces disciplines.

Vous êtes né à Lausanne et avez suivi une formation musicale. C’est quoi, être artiste, dans le monde d’aujourd’hui?
Un artiste, aujourd’hui, hier ou demain, véhicule la culture de son temps, de sa région, les peurs et les espoirs du monde qui l’entoure. La culture est ce que nous avons en commun, elle nous relie les uns aux autres. Nul besoin de faire carrière ou d’envahir la planète, il suffit d’observer, d’écouter, et de faire. Quant à moi, je ne sais rien faire d’autre. Je fais cela depuis toujours, c’est tout. C’est ma vie… Un peu comme un agriculteur…