Vevey, Lavaux et la Fête vus par les écrivains

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Vevey, Lavaux et la Fête vus par les écrivains

Les éditions de l’Aire publient une belle anthologie de textes d’écrivains d’hier et d’aujourd’hui inspirés par la Riviera. Et la Fête des Vignerons!

Le livre « Vevey et Lavaux, vus par les écrivains », que les éditions veveysannes de l’Aire publient cette semaine, commence avec une belle citation de l’écrivain anglais du 19e siècle William Beckford, exilé sur la Riviera pour faire oublier ses frasques londoniennes: « Vevey, c’est le site de mes rêves, c’est mon lieu de prédilection. »
Dans les textes sélectionnés, nombreux sont ceux qui font la part belle à la Fête des Vignerons inspiratrice pour de nombreux écrivains. Ce livre se veut une anthologie, donc forcément avec de beaux coups de coeur. Le patron des éditions de l’Aire Michel Moret et son équipe nous emmènent dans une promenade joyeuse avec la nostalgie des souvenirs qui remontent à la surface chaque quart de siècle lors d’une Fête des Vignerons.
Les auteurs ayant délibérément choisi d’écarter les textes qui écorchaient l’image de Vevey, l’intéressant réside dans la variété des auteurs retenus. Si certains grands classiques, déjà cités dans le livre de Mermod «Vevey et ses environs, hôtes illustres, fête des vignerons», préfacé par Paul Morand, grand amoureux de Vevey et édité en 1955 se retrouvent, ce nouveau livre permet de découvrir de belles plumes d’aujourd’hui qui parlent de la ville et sa région avec malice et poésie.
Les cinq chapitres nous emportent ainsi sur les traces de personnages célèbres puis nous proposent des visions de Vevey cocasses et surprenantes. Suivent un détour avec des écrivain-e-s amoureux du lac puis une belle balade littéraire sur les merveilleux coteaux de Lavaux
C’est au quatrième chapitre, intitulé Vignerons en fête, que nous découvrons de savoureux extraits signés de neuf auteurs et leur regard sur la Fête des Vignerons. Le texte le plus ancien est celui de Fenimore Cooper tiré de son livre «Sketches of Switzerland» et dans lequel il parle de l’Abbaye des Vignerons avec un certain étonnement. En suivant la chronologie des Fêtes, nous pouvons lire avec plaisir le texte paru dans le journal Moniteur universel écrit par Théophile Gauthier qui y décrit avec enthousiasme la Fête des Vignerons de 1851. Il proclame avec enthousiasme que «la Fête des Vignerons mérite vraiment qu’on se dérange».
Pour la Fête de Vignerons de 1905, Edouard Rod nous décrit le «chef d’oeuvre des vaudois», expression empruntée à Juste Olivier, avec une histoire bien ciselée de la Confrérie des Vignerons. Faisant écho à ce dernier, c’est C.-F. Ramuz qui exige «Rendez hommage aux vignerons, Car c’est le vin qui fait l’union», puis l’évocation de la «Grande Célébration» décrite par Charles Apothéloz, le metteur en scène de la Fête des Vignerons de 1977. Celle-ci est décrite de l’intérieur à travers le personnage d’un figurant avec force mots chatoyants par l’écrivain Michel Goedlin.
La Fête des Vignerons de 1999 est quant à elle rappelée avec deux beaux poèmes de François Debluë qui décrivent avec élégance la fête de la Saint Martin. Nous pouvons, également au sujet de cette Fête des Vignerons de 1999, lire la belle histoire de la brouette à lisier de Louis, utilisée lors des cortèges, et racontée ici avec malice par Philippe Dubath.
Ce beau livre de 472 pages est agrémenté d’un côté par les dessins de Claudio Fredrigo, qui a croqué les auteurs des textes, et de l’autre par les photos de nature et de paysage réalisées par David Bochud. Il faut garder ce livre sur la table de nuit ou près d’un fauteuil pour y replonger à souhait. Et pourquoi pas en dégustant un bon petit vin de chez nous.
Gianni Ghiringhelli

«Vevey et Lavaux vus par les écrivains». Textes réunis par Michel Moret. Dessins de Claudio Fedrigo. Photographies de David Bochud. Editions de l’Aire, 472 p.

Extraits

«2 septembre, rue du Lac. Depuis des temps immémoriaux les vignerons sont fêtés à Vevey, tous les vingt-cinq ans, hommage d’une population aux fils de Noé. Expression authentique de coutumes locales, un spectacle de trois heures est créé par un poète, un compositeur, un metteur en scène, un peintre et un chorégraphe; toute la ville participe et sort de sa réserve, complice des saisons, des vignerons et des artistes. Entre répétitions et représentations, près de trois mois ont passé en un jour, dominés par la Fête des Vignerons, liesse, réussite, bonheur. Dans l’arène temporaire et monumentale de la place du Marché, représentations, gais carillons, fanfares, rondes mouvantes qui se resserrent en corolles, étoffes bigarrées, oriflammes, enseignes d’or, cortèges, caves ouvertes, l’apothéose de six ans de préparatifs. Trois cent mille visiteurs submergèrent la région, des centaines de millions de téléspectateurs suivirent l’évolution de figurants en costume, mais nous n’étions pas des mercenaires, nous vivions notre fête, toute la population locale, au son d’orchestres d’harmonie, de chorales, de grappes sauvages de joyeuses cohortes de faunes, de bacchantes dépoitraillées bondissant autour des dieux et déesses, des demi-dieux aussi. Ariane s’est muée en épi de blé, Hubert en pissenlit et en flocon de neige. Yucki et moi sommes devenus bohémiens avec cape, oripeaux multicolores et boucle d’oreille, foulards et tambourins, membres d’une tribu fantasque, hétéroclite et joyeuse suivant un chariot traîné par une jument fatiguée. Dans notre vie antérieure nous aurions été notables ou amis de noce.» Michel Gœldlin, L’espace d’un homme, Carouge-Genève, Zoé, 1989

«La Fête des vignerons de Vevey, pour laquelle on avait fait un service, comme on dit en style de presse, mérite vraiment qu’on se dérange ; c’est un spectacle bien rare dans les mœurs actuelles et qui donne l’idée de ce que pouvaient être les fêtes antiques, les thesmophories, les panathénées et autres cérémonies exécutées en plein air. Vevey est une charmante ville qui a pour miroir ce limpide azur du Léman ; elle a donc un débarcadère et une station. On y arrive par le bateau à vapeur et par le chemin de fer. Cela est bien suffisant en temps normal; mais cette fois un troisième mode la locomotion, s’il existe, n’eût pas été de trop. (…) Nous arrivâmes bientôt à Vevey, dont les rues présentaient un aspect gai et pittoresque. (…) La cérémonie devait avoir lieu sur la grande place, autour de laquelle on avait élevé trois gigantesques estrades solidement construites et pouvant contenir dix mille cinq cents spectateurs, sans compter ceux qui s’étaient juchés sur les toits des maisons, d’une hauteur à dominer la place. Le côté libre de l’arène était occupé par trois portes monumentales, ou plutôt par trois arcs de triomphe, devant donner passage aux divers cortèges. La plus grande porte, celle du milieu, (…) portait dans son tympan une statue de la Liberté avec cette devise : Liberté, Patrie. Des écussons, contenant le chiffre de la ville de Vevey (…) achevaient cette ornementation appliquée sur une architecture d’un gothique confinant à la Renaissance. Une inscription indiquait que cette porte était celle de Bacchus. Les deux autres arcs, de plus petite dimension, répétaient la décoration du premier, qu’ils accompagnaient et soutenaient. L’arc de gauche était consacré à Palès, celui de droite à Cérès, nourricière des hommes. (…)» Théophile Gautier, dans «Le Moniteur», Paris, 1851.

«Les gradins commencèrent à se remplir des privilégiés, parmi lesquels beaucoup appartenaient à la haute aristocratie du canton ; d’autres étaient des fonctionnaires trop élevés en dignité pour jouer d’autre rôle que celui de spectateurs complaisants. On y voyait des seigneurs de France et d’Italie, quelques voyageurs d’Angleterre (…), tous ceux des territoires voisins qui avaient du temps à perdre et de l’argent à dépenser, et qui par leur rang ou par leurs places avaient droit aux distinctions, ainsi que les femmes et les enfants des fonctionnaires de la ville qui étaient engagés comme acteurs dans la représentation.» Fenimore Cooper, L’Abbaye des Vignerons, chap. 13

«Ils avaient décidé que la fête aurait lieu le dernier dimanche d’août. Tout à coup, ils avaient dit: «Si on la faisait cette année ?» et ils étaient tombés d’accord sur ce point, étant tombés d’accord aussi quant à la date, parce que c’est un mois où le travail est moins pressant. On a fini les sulfatages, les soufrages; et plus tard il faut tout préparer pour la vendange, on lave les tonneaux, on met de l’ordre dans les caves, on graisse la vis du pressoir.
Entre deux temps, après les sulfatages et les soufrages, avant que les grappes commencent à traluire: une fête, un beau dimanche pour se réjouir. Et tous: «C’est une bonne idée. Depuis le temps… Ça nous manquait.»
Mlle Mathilde a vite été acheter des journaux de mode qu’elle feuillette avec ses amies dans la tonnelle du jardin. Elles ont regardé comment elles allaient faire ces robes, et elles sont sans manches cette année. Est-ce qu’on oserait? (…)
Ils avaient constitué à la ville un comité et tous les villages du district avaient un représentant dans ce comité. Ils ont été chercher sur les monts des branches de sapin et de la mousse que les enfants des écoles tressent en guirlandes et où ils piquent des roses en papier sous la surveillance des femmes; les hommes, pendant ce temps, faisaient sauter le pavé et plantaient en terre les hauts fourrons (comme ils disent), les hautes perches non écorcées où les guirlandes devaient venir s’attacher.
Ils étaient descendus des monts avec des charrettes à bras, ou des attelages de deux chevaux tirant un double train de roues.
La forêt venait en bas, s’étonnant des vignes qu’elle traversait, et davantage encore de l’eau, dont elle se tient d’ordinaire dans un grand éloignement, la méprisant de ses hauteurs. Ils claquaient du fouet; les mécaniques serrées à fond criaient à cris non interrompus comme des sirènes de bateaux dans la brume. (…)
… les bateaux à vapeur ont commencé à amener le monde au chef-lieu. Il y a eu trois courses supplémentaires, ils n’ont plus arrêté de siffler, se vidant de leurs passagers, l’un après l’autre, sur le débarcadère : les grands bateaux blancs à roues avec une seule cheminée : Italie, Savoie, Rhône, Mont-Blanc.
Et le monde lentement coule hors d’eux dans le soleil pour entrer tout d’un coup sous les ombrages de la place où les chapeaux des dames ont été comme des bougies qu’on a soufflées, la mode étant aux chapeaux rouges.
On a été, venant du lac, dans la direction du mont. Le monde remontait les rues pour en admirer la décoration. Sous les guirlandes, sous les drapeaux, sous successivement chacun des quatre arcs de triomphe avec leurs devises dont l’une dit:
Rendez hommage aux vignerons,
Car c’est le vin qui fait l’union…
écrite en belles majuscules sur un carré de carton qui se balance au-dessus des têtes dans le courant d’air. (…)
Les fenêtres viennent dehors par le débordement des têtes. Dans le cadre en grès usé, trois étages, trois, quatre étages de figures. Les façades des maisons ont comme des soubassements de corps. A peine si à certaines places on aperçoit encore le pavé, des fenêtres, tant il y a de ces drapeaux, de ces écussons, de ces guirlandes. On ne sait plus si c’est le courant d’air ou bien le bruit qui fait qu’elles se balancent ainsi, en même temps que balancent les cloches et le canon tire en mesure. Tout le pays se vidant d’hommes vers ici comme quand l’eau descend d’un toit, et ici ils sont recueillis, parce que c’est ici le milieu et c’est ici que ça finit, devant le lac mis là pour faire plus beau encore, et qui est plein de bateaux, plein de barques, vus entre les gros troncs courts des ormes, les troncs moins gros, plus élevés des peupliers. Et, au-dessus des toits, quelqu’un, et dans le ciel encore quelqu’un qui regarde, un aéroplane ; et en arrière alors, assis en rond, le mont, tout salué qu’il est et parcouru qu’il est, tout caressé par la musique, les sonneries, ou bien quand le canon comme une grosse bulle de savon vient crever contre les murs des vignes…» CF Ramuz, Passage du poète